De l’évolution de la pensée d’Amartya Sen, ou, comment repenser le bien être par l’approche des capabilities ?

Publié le par merezak maha

De l’évolution de la pensée d’Amartya Sen, ou, comment repenser le bien être par l’approche des capabilities ?

 

 

Les  théories sous-jacentes aux politiques de développement menées depuis une trentaine d’années sont remises en cause par de nombreux auteurs. Il semblerait qu’elles n’aient pas réalisés les objectifs chiffrés en terme de développement social.

L’espoir d’un développement économique basé essentiellement  sur la croissance économique est aujourd’hui révolu.

Une vision alternative du développement est apparue depuis quelques années grâce à l’approche par les  capabilities ou capacités d’Amartya Sen. Cette nouvelle approche, qui abandonne la vision monétaire du bien-être, permet d’élargir le champ d’analyse à des considérations sociales, philosophiques ou politiques.

L’enrichissement de cette approche qui permet de repenser le bien être  par différents auteurs conduit  elle à ce titre à élaborer un nouveau paradigme ou bien à enrichir le paradigme utilitariste ? (1)  Nous allons dans un premier temps constater  de manière chronologique  les origines et  principes de cette approche avant de  nous questionner sur sa pertinence empirique, notamment en matière de développement.

 

Les origines de la pensée d’Amartya Sen…

 

L’approche par les capacités est avant tout un cadre d’évaluation des états individuels et des arrangements sociaux proposés par Sen dans une perspective de justice sociale. Ses premières publications (au cours des années 1970) s’inscrivent de fait dans l’approche néoclassique du Social Choice. La lecture de la « théorie de la justice » de  John Rawls (1971) inspirera la position de Sen vis-à-vis de l’utilitarisme.

 

Les principes  de la théorie de la justice de John Rawls.

 

Cette théorie  le  pousse à  construire une conception propre de la distribution juste des richesses  et adopter une position critique quant à l’évaluation standard du bien être en s’en démarquant progressivement.

 

 Bref aperçu de la théorie de la justice comme équité de John Rawls.

 

La théorie de la justice de Rawls s'appuie d'abord sur les postulats philosophiques de Kant : En matière de règle de gouvernement politique et social, le Juste doit primer sur le Bien compris comme ensemble de valeurs collectives. Autrement dit, c'est la justice dans la répartition des avantages et des charges de chacun qui doit définir les principes de la coopération sociale entre les individus d'un pays, et non les valeurs religieuses, philosophiques, ou de quelque nature spirituelle que ce soit. Dans le même sens, l'horizon de la philosophie politique de John Rawls est centré sur la personne individualisée, et non sur une collectivité indistincte de personnes.

 Plus précisément, il s'agit, dans la ligne de Kant, de favoriser l'acquisition des deux qualités « morales » nécessaires à une vie en société conciliant l'autonomie individuelle et la coopération sociale : une conception personnalisée du Bien permettant à chacun de donner un sens à son existence ; une conception individualisée du Juste, permettant à chacun d'accepter l'idée de l'existence des  autres conceptions du Bien, et d'ajuster ses propres conceptions en conséquence, afin de favoriser la coopération sociale.

Sur la base de  ces conceptions de la personne et de la coopération sociale, Rawls propose une théorie de la justice qui  va se démarquer de la théorie utilitariste en proposant  une approche alternative : son but étant d’élaborer une théorie de la justice qui représente une solution de rechange à la pensée utilitariste » (Rawls, 1971, p.49).

 Cette théorie  constituerait une sorte de charte régulatrice du fonctionnement d'une société juste. Elle se propose notamment de surmonter les contradictions relatives à deux grandes catégories de contradictions qui affectent les sociétés démocratiques : la contradiction entre la liberté et l'égalité, d'une part ; celle, d'autre part, au sein de la sphère socio-économique, entre la justice et l'efficacité économique.

La théorie débouche sur deux principes de justice : le premier concernant le domaine des libertés, le second, celui de la détermination  des postions sociales et de la répartition des biens économiques.[1]. Ces deux principes sont accompagnés d’un principe de priorité des libertés fondamentales sur l’égalité des chances qui est elle-même prioritaire sur l’égalisation des ressources. Ainsi, la liberté individuelle est sauvegardée, sous réserve qu’une liberté semblable soit accordée à toutes et à tous.

En conséquence, sa théorie de la justice comme équité prône un système social juste dans lequel les individus peuvent développer leurs désirs et fournit « un cadre constitué de droits et de possibilités ainsi que des moyens de satisfaction, à l’intérieur duquel et grâce auquel ces fins peuvent être équitablement poursuivies » (théorie de la justice p.38).

Ainsi, de nouvelles considérations sont donc  prises en compte dans la recherche du bien être. Outre la simple satisfaction utilitariste, Rawls  introduit une notion essentielle qui est celle des libertés personnelles. Dans cette exigence de justice, il définit une liste de biens premiers, c’est-à-dire « des biens utiles quel que soit le projet de vie rationnel » (théorie de la justice p.93). Il distingue ainsi  les biens premiers naturels (comme la santé ou les talents, qui ne sont pas soumis au contrôle des institutions) et les biens premiers sociaux (comme les libertés et droits fondamentaux, les positions sociales et le respect de soi) enfin les avantages socio-économiques liés à ces positions qui aident les individus à poursuivre librement leurs objectifs.

Une société juste est une société dont les institutions répartissent les biens premiers sociaux de manière équitable entre les membres en tenant compte des différences dans la dotation en biens premiers naturels.

Le bien-être, défini à partir de ces biens premiers, est évalué sur la base de la possession des biens premiers, avec une prévalence pour la liberté individuelle.

 

 La confrontation des positions d’Amartya Sen à la théorie de John Rawls.

 

 Amartya Sen fonde son analyse sur la  critique  des biens premiers en considérant que leur regroupement en une seule catégorie est trompeur. En effet, puisque, selon Rawls, l’état de nature garantit a priori, de façon égalitaire, les libertés fondamentales de tous les individus d’une même communauté mais aussi une égalité des chances, les seuls critères qui permettent de différencier les individus sont donc les ressources monétaires et la richesse. Il semble donc que, in fine, l’approche en termes de biens premiers revient à une approche monétaire standard.

Une seconde critique concerne le principe de différence lui-même. En différenciant les individus sur la seule base des ressources, Rawls affaiblit la portée de son principe. Ainsi, deux individus dotés, a priori, d’un même panier de biens premiers peuvent, a posteriori, disposer de libertés différentes. Ainsi, « juger l’égalité dans l’espace des biens premiers revient à donner aux moyens de la liberté priorité sur toute évaluation de l’étendue de la liberté, ce (…) qui peut être un inconvénient » (Sen 1992, p.27). Ainsi, une personne moins apte à faire usage de ses biens premiers pour s’assurer des libertés est désavantagée par rapport à une autre plus habile. Ces 2 personnes ne peuvent tirer avantage de ce même panier de dotations en biens premiers.

Autrement dit, la critique faite à Rawls  qui est une focalisation sur les moyens du bien- être et de la liberté ne permet pas de considérer à leur juste valeur les finalités de la liberté, (c’est à dire l’accomplissement d’un certain nombre de réalisations essentielles, et la possibilité de choisir parmi elles). Les évaluations purement monétaires de la situation de quelqu’un ne permettent pas d’évaluer concrètement ses possibilités et la valeur des options qui se présentent à lui.

 

La remise en question par Sen de l’approche standard du bien être (ou l’approche welfariste)

 

La conception utilitariste du bien être remise en question par A Sen suite à la lecture de Rawls (1977) se penche sur les « hypothèses comportementales » ainsi que  la mesure du bien-être par le revenu.

 

La limite des hypothèses comportementales

 

La théorie du bien-être suppose que les individus aient tous un même comportement rationnel. Cependant selon Sen (1977), l’individu peut mener des choix rationnels sans pour autant que ceux-ci maximisent son propre bien-être. L’individu peut très bien être un idiot rationnel, un demeuré social (Sen, 1977b).

En d’autres termes, le problème est que l’utilitarisme n’attribue aux individus qu’un seul classement de leurs préférences, et « au gré des besoins, ce classement est supposé refléter les intérêts de la personne, représenter son bien-être (…) et décrire ses choix et son comportement effectifs » (Sen, 1977b, p.106).

En se basant sur l’analyse de Rawls, Sen définit une hiérarchisation des utilités retirées à partir des biens premiers. Chaque bien permet à l’individu d’exprimer une utilité qui sera classée avec les utilités retirées des autres biens premiers. Le classement selon les préférences n’est donc plus le seul qui puisse dicter l’action à mener (c’est-à-dire celle qui maximise l’utilité) puisque, dorénavant, l’individu devra agir en tenant compte du méta-classement (3). Cette technique remet en cause l’approche utilitariste classique, puisqu’elle « contribue au raisonnement qui permet d’accorder de la valeur au fait d’avoir différents types de préférences » (Sen, 1977b, p.107).

 

La mesure du bien-être chez Sen : la remise en question du classement des préférences

 

A partir de ce méta-classement, Sen remet en cause la mesure du bien-être par la seule mesure des préférences. Il s’oppose ainsi a l’utilitarisme qui pose comme principe premier le conséquentialisme, à savoir que toutes les actions sont jugées à l’aune de leurs conséquences et si celles-ci sont « bonnes », l’action sera considérée comme augmentant l’utilité de celui ou celle qui l’accomplit, et inversement. Dans cette approche, le bien-être, mesuré par l’utilité, sera déterminé par le revenu.[2]L’individu  retirera de cette consommation une satisfaction, une préférence et exprimera alors son utilité en fonction du classement de ses préférences.

Cette approche welfariste est restrictive sur plusieurs points : tout d’abord, elle ne considère le bien-être que comme étant une fonction croissante et continue de la satisfaction, avec la consommation comme argument. Ensuite, considérer exclusivement la consommation, c’est ignorer d’autres composantes du plaisir qui ne sont pas exclusivement d’ordre matériel (comme une satisfaction psychologique d’accomplir un acte, d’aider son prochain). Enfin, exprimer le bien-être par une composante purement monétaire, c’est ignorer la complexité du système naturel, la diversité de l’être humain et de ses caractéristiques propres. Ainsi, Sen élargit le cadre d’analyse à des considérations plurielles. Cependant, contrairement à Rawls, il ne prétend pas proposer un modèle alternatif à l’utilitarisme, mais se contente de l’enrichir. La lecture de Rawls l’a considérablement transformé et c’est à partir de celle-ci qu’il va approfondir sa propre pensée.

 

L’évolution de la pensée de Sen

 

C’est au cours de la décennie 1970 alors que les famines et les pandémies sévissent partout dans le monde qu’Amartya Sen s’éloigne progressivement de la thèse welfariste qui apparemment semble incapable d’expliquer la persistance de ces phénomènes. La thèse utilitariste est remise en question de façon nette et Sen se dirige vers une approche en termes d’entitlements. Cette thèse lui  permet d’élargir les fondements de son analyse vers  les possibilités réelles que possèdent les individus d’être et de faire ce à quoi ils aspirent, et de  recentrer ainsi  son approche sur le concept de capabilité. Depuis, le cadre analytique initié par Sen ne cesse de se développer sous l’instigation de différents partisans.

 

Les fondements de base de la pensée de Sen

 

La parution de l’ouvrage de Sen, Poverty and Famines, (1981) marque un  changement d’orientation dans les possibles explications du phénomène de la pauvreté et particulièrement celui des famines. Celles-ci sont  étudiées comme un phénomène non seulement économique mais aussi  politique. Par ailleurs, Sen affirme (sur la base d’une multitude de cas étudiés) que celles-ci ne sont pas nécessairement dues à une baisse tendancielle de la quantité de nourriture disponible dans le pays en question : le problème n’est donc plus simplement un manque de nourriture mais devient un problème d’accès à cette nourriture.

Pour démontrer sa démarche, Sen prend en considération une communauté ou chaque individu possède des dotations (endowments) à partir desquelles il va pouvoir échanger avec le reste de sa communauté. Pour cela, il possède des entitlements, (c’est-à-dire des paniers de biens qui peuvent être échangés contre d’autres paniers de biens). Toutefois, ces entitlements ne peuvent s’échanger que grâce à une fonction spécifiant l’ensemble de paniers de biens qu’une personne possède en vue de l’échanger : C’est donc une approche en termes de possession de ressources. Par exemple, un paysan possède sa terre et sa force de travail (dotations). Grâce à ses dotations, il peut produire un panier de biens qu’il peut échanger contre d’autres biens. L’ensemble de ces biens constitue les droits à l’échange (entitlements) de ses dotations.

Dorénavant, l’analyse des famines se concentre sur la capacité qu’ont les individus à se procurer de la nourriture (command over food), ainsi une personne souffre de la faim soit parce qu’elle n’a pas la capacité à se procurer de la nourriture, soit parce qu’elle n’utilise pas cette capacité ; sa carte des droits à l’échange ne lui permet pas d’échanger ses dotations contre de la nourriture.

L’approche par les entitlements se concentre sur la première proposition, c’est-à-dire sur les moyens de contrôle des dotations.

Ce concept dessine les contours encore flous de la notion de  capabilitie lancée par Sen dés 1982 dans « Commodities and Capabilities » et qui n’est autre que le prolongement de ses recherches antérieures.

A l’instar de la famine, la pauvreté est analysée comme une incapacité à se procurer les moyens de contrôle sur ses dotations. A titre d’exemple, une personne peut posséder des ressources confortables sans pour autant être capable de vivre comme elle l’entend. Le problème proviendrait  donc des moyens dont elles disposent pour convertir ses ressources en fins et qui sont de deux ordres : le premier provenant de l’individu lui-même, de ses caractéristiques personnelles, (physiques, mentales, sexuelles) et le second des opportunités sociales qui entourent l’individu, définissant sa position au sein de sa communauté (les règles en usage dans le groupe), son environnement social et politique.

 Ces deux moyens sont résumés par Sen sous le vocable fonction d’utilisation fi(.). Un individu handicapé aura une fonction d’utilisation différente de celle d’un individu sans handicap, et celle-ci l’empêchera alors de convertir sa dotation en accomplissements. Cette fonction d’utilisation permet de convertir un panier de biens (dotations et ressources monétaires) en accomplissements (achievements). Elle est personnelle dans la mesure où une partie est conditionnée par les caractéristiques individuelles.

En somme, un individu va pouvoir convertir une dotation en accomplissements grâce à une fonction d’utilisation, compte tenu de ses caractéristiques personnelles et des caractéristiques de son environnement social, économique et politique. Cet accomplissement est ce que l’individu est capable d’atteindre, ses fonctionnements (functionings) qui peuvent être définis comme « les différentes choses qu’une personne peut aspirer à être ou faire, ses beings and doings» (Sen, 1999, p. 82).

L’individu possède un ensemble de fonctionnements que l’on appelle capabilité (capability), parmi lequel il va choisir de réaliser tel ou tel fonctionnement selon qu’il accorde ou non de la valeur et selon ses contraintes institutionnelles. A partir de là, on peut définir la capabilité d’une personne comme l’étendue des possibilités réelles que possède un individu de faire et d’être ou encore comme Sen, « la capabilité d’une personne reflète les combinaisons alternatives de fonctionnements que cette personne peut réaliser, et parmi lesquelles elle peut en choisir quelques-unes». Il s’agit en fait de la liberté que possède l’individu de choisir parmi tous ses fonctionnements potentiels ceux qui vont lui permettre de satisfaire ce qu’il attend de sa vie, ce qu’il a raison de valoriser.

La capabilité est donc tous les fonctionnements potentiels qui peuvent aller de plus simple comme « se nourrir décemment » au plus compliqué comme « vivre une vie digne d’être vécue ».

L’approche est donc multidimensionnelle dans le sens où la seule focalisation sur le revenu est abandonnée au profit d’une vision plus large du bien-être qui fait entrer en ligne de compte une multitude de composantes. On peut donc représenter l’espace des capabilités comme suit : Le bien-être d’un individu prend donc en compte l’étendue de la liberté de choix qu’il possède entre tous les fonctionnements qui lui sont potentiellement accessibles. Ce bien-être sera mesuré par l’utilité qu’il retirera de son ensemble de capabilités mais aussi par l’utilité retirée des fonctionnements effectivement accomplis. Pour rendre maximum son bien-être, l’individu va non seulement chercher à augmenter son espace de fonctionnements mais également chercher à pouvoir effectivement réaliser les fonctionnements qu’il choisit de valoriser. Il existe donc une double contrainte à la maximisation du bien-être : sa capacité à choisir parmi ce qui s’offre à lui, mais également l’étendue de l’offre.

L’approche par les capacités est donc une théorie du choix personnel, puisque celui-ci est au

centre de la décision de l’individu.

Sur la base de ces éclaircissements, la pauvreté reflète 3 formes :

-une composante essentielle, la pauvreté de ressources. En effet, comme nous l’avons vu, les ressources (endowments) sont à la base des échanges et vont être transformées en fonctionnement. Sans ressource, l’individu ne peut prétendre à atteindre un quelconque fonctionnement.

 - une composante en termes de droits, d’entitlements, lorsque l’individu ne va pas pouvoir convertir ces dotations en fonctionnements, pour des raisons personnelles ou institutionnelles

-enfin une composante en termes de liberté de choisir certains fonctionnements, c’est-à-dire une pauvreté de capabilités.

Au total, on peut dire que l’approche par les capacités en se focalisant sur les moyens que possèdent réellement les individus pour convertir leurs ressources en satisfaction (mesurée par l’utilité) permet d’élargir l’évaluation du bien-être à des considérations autre que monétaires, de faire place à des composantes sociales, ainsi qu’à un comportement altruiste tout en considérant que l’homogénéité des individus et des situations est une limite flagrante de l’approche utilitariste.

 

L’approfondissement de l’approche de Sen au cours des années 1990

 

 Le champ d’action de la décennie 1990 sera marqué par une évaluation du bien-être par les capabilities, devenus le point d’ancrage des analyses sur l’inégale distribution des richesses et la pauvreté mondiale. En étroite collaboration avec le PNUD, l’approche de Sen connaît une démocratisation qui lui permet d’atteindre une audience plus large, notamment dans les grandes institutions internationales, actrices du développement dans les pays du Sud. Cette évolution permet à Sen d’orienter son approche vers l’étude de l’inégalité puis du développement d’une manière générale.

 

 

L’étude de l’inégalité des capabilities

 

« Inequality Reexamined », est un ouvrage phare d’Amartya Sen publié en 1992.Il se focalise sur les aspects sociaux tels les inégalités ou la discrimination. Sen y remet en cause les approches welfaristes (basée sur le revenu, les ressources et le bonheur) et rawlsiennes (vision centrée sur les dotations en biens premiers que nous avons analysés plus haut.

Comme nous l’avons constaté, dans les deux cas de figure, le principe est le même : au lieu de considérer l’inégalité dans les résultats (les accomplissements) les deux approches se contentent de considérer l’inégalité dans les dotations (ressources ou biens premiers, c’est-à-dire les moyens de l’accomplissement). Ainsi, il suffit de réduire la distance qui existe entre les dotations des individus pour réduire l’inégalité.

Sen va donc  rejeter cette vision pour s’orienter vers l’inégalité de capabilités. En effet, doter deux personnes d’un même revenu ou d’un même panier de biens premiers n’en garantit pas une utilisation équivalente puisque les individus diffèrent l’un de l’autre. L’inégalité provient alors de la liberté d’accomplir plutôt que des dotations.

 L’espace d’évaluation est déplacé vers les capabilités. L’inégalité sera jugée sur la liberté de pouvoir convertir les dotations en accomplissements, c’est-à-dire sur les capabilités. Or, cette liberté dépend de

-          les caractéristiques institutionnelles et environnementales (ici les mêmes pour les deux individus),

-          leurs caractéristiques personnelles.

Lutter contre les inégalités de capabilités, signifie réduire l’écart entre les libertés réelles auxquelles peut prétendre l’individu le moins bien loti et les libertés réelles  de l’individu de référence. Ou encore lui offrir un ensemble maximal de choix parmi lequel il aura la liberté de choisir ceux qu’il désire accomplir.

En effet, dans l’évaluation de la justice alternative que Sen propose, fondée sur cette notion de « capabilité », « les revendications des individus ne doivent pas être jugées en fonction des ressources ou des biens premiers qu’ils détienne respectivement, mais de la liberté dont ils jouissent réellement de choisir la vie qu’ils ont raison de valoriser C’est cette liberté réelle qu’on appelle capabilité de l’individu d’accomplir diverses combinaisons possibles de fonctionnement » (2000, p 122).

L’hétérogénéité humaine est un constat : il en résulte que le même panier de moyens ou de dotations en biens premiers ne peut permettre la même réalisation pour deux personnes différentes (revoir pour cela l’exemple des 2 personnes dont une possède un handicap et l’autre non). Préconiser l’égalité de ces moyens ne garantit pas l’égalité des réalisations, ni l’égalité en termes de liberté de choix. Le fait essentiel est que les individus ne peuvent convertir de la même façon le même panier de biens et de droits. La relation entre la détention de ce panier et la liberté de suivre les objectifs qu’on se donne varie en conséquence. Nos caractéristiques personnelles, purement individuelles, comme les aptitudes ou les différences physiques, ou relatives à l’appartenance à un groupe et au biais systématique qui peut le frapper, agissent sur ces possibilités de conversion. Si l’élaboration, la distribution de biens et services et la garantie de droits individuels et collectifs restent l’instrument fondamental d’intervention de la puissance publique celle-ci doit être consciente des différences dans les capacités individuelles de conversion de ces objets en objet de valeur.

 

Reconsidérer le développement par les libertés

 

Cette nouvelle donne marquée par  la conversion des dotations en accomplissements  a été l’occasion de permettre à de nombreux auteurs  de reconsidérer le développement, comme l’extension des capabilités de tous.

Dans « Development as Freedom (1999), Sen adopte une vision à la fois philosophique et  politique des capabilités, orientant le concept de plus en plus vers celui de liberté qui constitue dés lors non seulement un moyen mais aussi une fin du développement. Sen prône le modèle démocratique comme terreau politique de développement. Il va même plus loin en recommandant l’instauration d’une démocratie participative (sans pour autant se préoccuper de savoir si tous les individus possèdent la capabilité de pouvoir s’exprimer aisément en public).

En bref, le développement devient fondé sur  un renforcement et une extension des libertés essentielles dont jouissent les individus (Sen, 1999), et non plus seulement sur la simple croissance de la richesse.

 

 La dynamique des capabilités

 

Un certain nombre d’auteurs se sont penchés sur la dynamique des capabilités en les (Dubois, Mahieu et Poussard, 2000) appréhendant à travers le concept de développement socialement durable, ainsi défini comme la transmission intergénérationnelle d’un stock de capabilités grâce au renforcement de l’accessibilité, des potentialités et des opportunités.

Pour ces auteurs, le développement macroéconomique ne peut passer que par un renforcement de l’accès aux services de base, à l’élargissement des potentialités (a savoir l’ensemble des ressources individuelles mobilisables) ou encore par le développement de réelles opportunités de mobilisation de ces ressources. Ce développement est conditionné par le respect d’une équité intergénérationnelle de capabilités. De son côté, Comim (2003) oriente ses recherches vers une dynamique des capabilités, c’est-à-dire l’étude de l’évolution et des stratégies des individus dans le temps grâce à une perspective évolutionniste.

Il apparait que l’évolution du cadre conceptuel est en perpétuel mouvement grâce à l’apport des nombreux auteurs qui travaillent dans des champs d’analyse aussi variés que l’économie, la philosophie, la sociologie ou l’anthropologie. Cet enrichissement permet à l’approche multidimensionnelle de dessiner des contours plus précis et plus fidèles du bien-être individuel.

 

L’approche par les capacités, quelles mesures ?

 

L’approche par les capacités semble être l’approche la plus à même de rendre compte des situations socio-économiques des pays et de leurs populations. Elle est donc un soubassement a la détermination du niveau de développement par pays fondé sur une amélioration qualitative et quantitative de variables économiques (le revenu), sociales (la santé, le logement, l’éducation) et psychologiques (l’estime de soi). Cependant, le passage du microéconomique au macroéconomique pose un certain nombre de problèmes méthodologiques comme la mesure du bien-être individuel ou celle du développement.

Les travaux du PNUD ont permis de dépasser les tensions microéconomiques entre fonctionnements et capabilités, pour offrir un indicateur macroéconomique de développement humain reposant sur les travaux de Sen.

 D’un point de vue théorique, la redéfinition du bien-être ne permet pas de façonner un nouveau paradigme économique mais à tendance à orienter l’approche vers un paradigme politique.

 

L’évaluation du bien être.

 

Contrairement à l’approche monétaire du bien-être, lorsque l’on souhaite mettre en œuvre empiriquement le cadre conceptuel des capabilités, on se heurte rapidement à un double écueil: un problème conceptuel dans le choix de la base informationnelle retenue pour évaluer le bien-être, et un problème factuel dans la construction d’un indicateur individuel de bien-être multidimensionnel. Les travaux du PNUD, depuis le début des années 90, ont contribué à mettre en œuvre une mesure macroéconomique du développement basé sur l’appréhension des capabilités.

 

Capabilités ou fonctionnements de l’individu ?

 

Le choix entre une évaluation du bien-être basée sur l’ensemble des capabilités et une évaluation basée sur les seuls fonctionnements accomplis repose sur deux visions différentes de l’approche par les capabilités.

 Sen (1992, p. 67) préconise de recourir à l’ensemble capabilité pour évaluer la liberté de rechercher le bien-être, la « liberté de jouir du bien-être ».

 Si l’on s’intéresse aux capabilités dans leur ensemble, on considère tous les fonctionnements (choisis ou non), puisqu’ils sont représentatifs de tout ce à quoi l’individu peut prétendre comme modes de vie. De plus, opter pour la capabilité comme base informationnelle pour la mesure du bien-être permet également d’appréhender la liberté de choix de l’individu. Une personne dont les choix sont imposés par un dictateur, même s’ils correspondent exactement à ceux qu’elle aurait choisis en démocratie, ne peut jouir d’un niveau de bien-être maximum. Ainsi, occulter la liberté dans la mesure du bien-être entraîne une perte d’information préjudiciable à l’analyse. Si on s’arrête aux accomplissements, le bien-être de l’individu est maximum alors qu’il ne jouit pas de son libre choix. Il paraît donc important de s’intéresser à la capabilité dans son ensemble pour appréhender fidèlement le bien-être.

Toutefois apparaît un certain nombre de problèmes. Le premier concerne l’évaluation de la liberté individuelle. Sur quels critères juger si une liberté est respectée ou bafouée ? Beaucoup d’auteurs se sont penchés sur ce problème sans pour autant offrir de réponses satisfaisantes. Deuxièmement, comme nous l’avons vu, l’atout théorique de cette approche est qu’elle offre au bien-être un visage multidimensionnel.

 Cependant, au niveau empirique, cet atout devient rapidement une limite. En effet, lorsque l’on évalue cette liberté de rechercher son bien-être, on considère à la fois les fonctionnements accomplis mais également ceux qui auraient pu l’être mais qui pour certaines raisons ne le sont pas. Autrement dit, se concentrer sur la capabilité, c’est obligatoirement tenir compte d’alternatives potentielles qui ne seront jamais choisies pas l’individu (car il ne les valorise pas). Or, ces alternatives sont infinies si on considère tous les fonctionnements potentiels. Comment évaluer un fonctionnement qui peut être potentiellement choisi mais qui, in fine, ne l’est pas ? Il est donc nécessaire de se tourner vers les fonctionnements accomplis comme mesure ultime du bien-être. Il existe un argument à ce choix : puisque les fonctionnements sont accomplis, c’est qu’ils faisaient partie de l’ensemble capacité et qu’ils ont été choisis. La liberté de choix de l’individu est donc prise en compte à ce niveau ; sans être évaluée, elle est endogénéisée dans notre évaluation du bien-être. Nous optons pour ce point de vue dans la mesure où, empiriquement, il est impossible de juger tous les fonctionnements potentiels. Au total, la capabilité nous permet d’évaluer la liberté de rechercher le bien-être, tandis que les fonctionnements accomplis nous permettent d’évaluer le bien-être d’un individu. En ce sens, ils rejoignent l’approche en termes de besoins de base qui évalue le bien-être en termes de satisfaction d’un certain nombre de besoins de première nécessité.

 

La construction d’un indicateur individuel de fonctionnements accomplis

 

Le second problème rencontré lors de la mise en œuvre concerne la construction des indicateurs microéconomiques de fonctionnements qui nous interroge sur le type de fonctionnement a retenir, la pondération a utiliser, la construction de ces indicateurs.

La plupart des auteurs qui évaluent le bien-être individuel déclarent se situer dans la lignée de Basu (1987, p.1) dont la « position rejoint celle de Sen quant à l’évaluation du bien-être sur la base des fonctionnements, mais en focalisant sur les fonctionnements accomplis à la place des capabilités ». Ainsi, des auteurs comme Brandolini et d’Alessio (1998), ont évalué le bien-être grâce aux fonctionnements dans des cadres méthodologiques différents.

Dans tous les cas, les auteurs ont utilisé des variables similaires: une en termes d’actifs, une de santé, une d’éducation, une de logement.

Mais peut-on pour autant affirmer qu’il s’agisse d’une liste universelle de fonctionnements ? C’est-à-dire qu’en tout lieu et en tout temps, les hommes, pour atteindre un niveau de bien-être maximal, devraient chercher à réaliser une liste de fonctionnements préalablement déterminée. Il paraît difficile d’accepter cette thèse dans la mesure où une personne en Afrique ne valorisera pas les mêmes fonctionnements qu’un individu asiatique ou européen. De même, on ne peut affirmer que quelle que soit la classe sociale, tous les individus valorisent les mêmes fonctionnements.

Cette liste ne pouvant être déterminée ad hoc, elle découle du contexte spatio-temporel.

Une fois cette liste établie, il existe deux méthodes principales pour évaluer le bien-être individuel sur la base des fonctionnements accomplis qui diffèrent sur le codage et la pondération des données. Pour reprendre Sirven (2003, p.13), on peut dire qu’ « il s’agit de passer d’un espace à (n) dimensions dans lequel les ménages sont représentés par (n) variables, à un espace unitaire dans lequel une valeur nominale synthétiserait l’ensemble de l’information relative à chaque ménage ».

La seconde méthode est celle de la théorie des ensembles flous (Martinetti 1994, 2000, Cheli, Lemmi 1995). Cette théorie permet de prendre en considération des observations incertaines, vagues et approximatives. Elle semble, en outre, particulièrement adaptée à l’étude de la pauvreté, puisque s’il est parfois établi qu’un individu est pauvre, il existe des situations où on ne peut l’affirmer aisément. Cela est particulièrement vrai lorsque l’on appréhende la pauvreté de façon multidimensionnelle puisque certaines dimensions ne possèdent pas de limites franches, l’étude de la pauvreté reste floue. Cette méthode, qualifiée de subjective, se base sur une sélection de fonctionnements a priori, guidée par « le bon sens du scientifique » (Fusco, 2003). Cependant, la limite de cette méthode a priori est qu’elle introduit une distorsion importante dans la pondération des fonctionnements choisis.

 

L’Indicateur de Développement Humain

 

En 1990, le Programme des Nations Unis au Développement prend le parti de faire évoluer l’appréhension du développement, d’un espace unidimensionnel, le Produit Intérieur Brut, vers un espace multidimensionnelle, la capabilité. Pour cela, le PNUD collabore avec Amartya Sen pour définir le développement humain comme « […] le processus qui élargit l’éventail des possibilités offertes aux individus : vivre longtemps et en bonne santé, être instruit et disposer des ressources permettant un niveau de vie convenable, sont des exigences fondamentales ; s’y ajoutent la liberté politique, la jouissance des droits de l’homme et l’estime de soi » (PNUD, 1991, p.2). La volonté du PNUD d’orienter le développement vers des conceptions plus socioéconomiques est de montrer que la croissance du revenu par tête ne permet pas de représenter de manière fidèle l’état de privations dont sont victimes certains groupes sociaux. La construction d’un indicateur de développement humain va dans ce sens. Dès 1990, puis dans les rapports successifs, le PNUD n’aura de cesse que d’améliorer la pertinence de ses résultats en intégrant de nouveaux éléments ou en affinant le calcul de certains indicateurs composites. Toutefois, le PNUD reconnaît que la croissance économique joue un rôle prépondérant dans le développement et ainsi intègre le PIB dans son indicateur de développement humain puisque « l’absence de croissance signifierait la fin du développement » (PNUD, 1991, p.4).

 On retrouve ici l’argument qu’avance Sen en ce qui concerne la place du revenu dans son approche : ce dernier constitue un élément à part entière dans le bien-être individuel. Outre le niveau de vie mesuré par le PIB réel par tête, l’indicateur de développement humain comprend pour un tiers l’espérance de vie à la naissance et pour un tiers le niveau d’instruction (mesuré par le taux d’alphabétisation des adultes). Estimés par interpolation linéaire (ce qui permet d’obtenir des indices compris entre 0 et 1), les indices composent l’indicateur de développement humain compris entre 0 et 1. Les pays sont ensuite classés selon leur score obtenu. Les plus développés obtenant un score proche de 1 et les moins humainement développés un score proche de 0.

D’autres types d’indicateurs ont vu le jour comme l’indicateur de pauvreté humaine (qui prend en compte les privations), l’indicateur sexospécifique de développement humain (qui prend en compte les inégalités sexuelles) ou encore l’indicateur de participation des femmes, ce qui a pour but d’affiner encore un peu plus l’évaluation du développement humain.

Depuis 1990, tous les ans, de nombreux analystes politiques décortiquent les résultats des pays, l’I.D.H. étant devenu une référence en matière de développement et de politiques socio-économiques. Toutefois, comme l’approche par les capacités, cet indicateur n’est pas exempt de tout défaut. Certains l’ont qualifié de concept anti-croissance car il se focalise plus sur la redistribution que sur la création de richesse. D’autres ont critiqué la portée de cet indicateur : classer les pays selon un score ne rend pas compte des disparités nationales ou infranationales qui peuvent exister entre les sous-indicateurs. Malgré ces critiques, il n’en reste pas moins qu’à l’heure actuelle, l’indicateur de développement humain reste une référence dans le domaine du développement et permet aux pays d’orienter leurs politiques vers les secteurs défaillants (santé, éducation, économie).

La prise en compte du concept de capabilités tant au niveau microéconomique que macroéconomique nous permet de nous interroger sur les perspectives qui sont offertes à l’approche. Peut-elle supplanter l’approche traditionnelle du bien-être et du développement ou doit-elle nécessairement s’orienter, comme il semble être le cas aujourd’hui, vers une vision plus politique du développement ?

 

Les capabilités, quelles perspectives d’avenir ?

 

L’approche par les capacités, en remettant profondément en cause l’approche utilitariste du bien-être, est considérée par nombres d’auteurs comme un nouveau paradigme. Cependant, une double question peut être posée : en quoi une théorie qui base, in fine, l’évaluation du bien-être individuel sur l’utilité constitue un nouveau paradigme économique ?

Comment le passage d’une vision microéconomique à une vision macroéconomique a-t-il entraîné l’approche sur le terrain des idées politiques ?

 

Peut-on considérer cette approche comme un paradigme économique… ?

 

Les capabilités permettent d’élargir le spectre d’évaluation du bien-être, en considérant que la liberté de choisir des modes de vie différents est plus importante que les ressources que l’on détient pour atteindre ces modes de vie.

 Rappelons que la variable monétaire est une composante des capabilités, l’évaluation du bien-être ne se base plus sur l’utilité retirée d’une consommation mais sur l’utilité retirée de l’accomplissement de certains fonctionnements et sur l’étendue de l’espace des capabilités.

La question que l’on est en droit de se poser est de savoir si l’approche par les capacités constitue un nouveau paradigme dans le développement, ou s’il s’agit d’un enrichissement de l’utilitarisme ?

Il semblerait que pour constituer un nouveau paradigme, l’approche par les capacités doit proposer une réelle alternative au modèle utilitariste. Or, l’évaluation du bien-être reste, in fine, basée sur la mesure de l’utilité que retire l’individu de ses fonctionnements accomplis. Le mérite de Sen n’a pas été de proposer une réelle alternative à l’utilitarisme, mais plutôt de fonder l’évaluation du bien-être sur des considérations autres que purement monétaires. L’enrichissement du modèle utilitariste passe par la prise en compte de composantes sociales, environnementales et politiques, plus complexes à évaluer mais plus pertinentes que la simple consommation.

On peut donc penser que si Sen avait voulu construire un nouveau paradigme, il aurait d’abord cherché à abandonner l’utilité comme mesure du bien-être, or il est toujours resté dans ce cadre-là.

 

un paradigme politique… ?

 

Dans Development as Freedom (1999), Sen  montre que le développement économique basé sur la croissance n’est plus à même de répondre aux exigences de justice sociale, d’équité et de respect de la personne, tandis que le développement par la liberté, qui place l’individu, ses choix et ses accomplissements au cœur du modèle, permet de repenser la justice sociale.

 Le concept de capabilités s’oriente ainsi de plus en plus vers celui de liberté, prenant un ton plus politique. Tout paradigme normatif est avant tout un paradigme politique.

 

 

Conclusion

 

L’objectif de cette recherche  était de faire une synthèse de l’approche par les capacités, de ses origines ancrées dans un rejet de l’utilitarisme, à ses prolongements politiques notamment dans les travaux actuels de la Banque Mondiale. Si l’approche apparaît consensuelle aujourd’hui – Sen est à la fois apprécié par le cercle économique hétérodoxe et par les chantres de la pensée orthodoxe et libérale – il n’en reste pas moins qu’elle ne constitue pas le paradigme alternatif à celui de l’utilitarisme. Toutefois, ce cadre théorique, en perpétuel mouvement, permet de dépasser la définition économique du développement pour l’orienter vers une définition qui place l’humain en son centre.

L’intérêt de l’approche pour les pays en développement est réel. La théorie classique en utilisant la consommation comme mesure de la pauvreté masque des pans entiers de la situation de privation dont sont victimes les populations les plus pauvres des pays en développement. Mener des politiques de soutien à la consommation via des politiques de revenus peut ne pas aboutir aux résultats escomptés de sortie de pauvreté. Il s’agit donc de doter chaque personne d’un pouvoir de décision et d’utilisation de ses ressources pour qu’elle les mette au service de son propre bien-être et de la vie qu’elle souhaite mener. Les politiques de développement peuvent ainsi s’orienter vers la provision de services publics de qualité et de croissance économique profitable à tous.

 

 

Bibliographie :

 

-BANQUE MONDIALE, 2001, Rapport mondial sur le développement économique

2000/2001, combattre la pauvreté. Editions ESKA. Washington.,

-BANQUE MONDIALE, 2002, Empowerment and Poverty Reduction: A Sourcebook. Poverty Reduction Group, World Bank, May 2002.

-NUSSBAUM, M., 2000, Women and Human Development. The Capabilities Approach,

Cambridge: Cambridge University Press.

-PNUD, 1991, Rapport mondial sur le développement humain. Economica. Paris.

-RAWLS, J., 1971, A Theory of Justice, The Belknap Press of Harvard University Press;

trad. fr. De Catherine Audard, Théorie de la justice, Editions du Seuil, 2ème édition, 1997.

-REDDY, S,J., POGGE, T., 2003, How not to count the poor. Columbia University. New

York.

-A SEN, 1976, Poverty : An ordinal Approach to Measurement, Econometrica, Vol. 44, n° 2.

-A SEN, 1977a, Social Choice Theory: a re-examination. Econometrica, Vol. 45.

-A SEN,  1977b, Rational Fools : a critique of the behavioural foundations of economic theory. Philosophy and Public Affairs. Vol.6.

-Amartya SEN, 1981, Poverty and famines: An Essay on Entitlement and Deprivation, Oxford, Clarendon Press.

-A SEN, 1985, Commodities and Capabilities, Oxford India Paperbacks, Oxford University Press (5ème édition 2000).

-A SEN, 1992, Inequality re-examined. Oxford, Clarendon Press; trad. fr. De Paul Chemla, Repenser l’Inégalité, Paris, Seuil, 2000.

 -A SEN, 1999, Development as freedom, A. Knopf Inc. ; trad. fr. de Michel Bessières, Un nouveau modèle économique : développement, justice, liberté. Paris, Odile Jacob, 2000.

-A BERTIN, 2003, Glossaire des termes techniques utilisés dans l’Approche par les

Capacités. Intervention lors du 3ème Colloque sur l’Approche par les Capacités : D’un

développement viable à une liberté durable, 6-10 Septembre 2003, Université de Pavie.

-M, NUSSBAUM , 2003, Beyond the Social Contract: Capabilities and Global Justice. Intervention lors du32 ème Colloque sur l’Approche par les Capacités : D’un développement viable à une liberté durable, 6-10 septembre 2003, Université de Pavie.

-F,COMIM,  2003, Capability Dynamics: the importance of time to capability assessments.

Intervention lors du 3ème Colloque sur l’Approche par les Capacités : D’un développement

viable à une liberté durable »

 

 



 (1) Amartya Sen est avant tout un économiste utilitariste qui base son analyse du bien-être sur l’utilité retirée par les individus de la réalisation des fonctionnements potentiels.

 

[1](2)  La publication de la théorie de la justice  du philosophe J. Rawls (1971) part de l’idée d’un état de nature initial dans lequel les individus acceptent un système sans savoir à l’avance s’ils en retireraient un quelconque avantage. Ils sont cachés derrière un « voile d’ignorance », à savoir qu’ils ne possèdent aucune information sur leur situation au sein de cette société et sont donc enclins à accepter des principes de justice dans lesquels la place de chacun est déterminée par une exigence d’impartialité et d’équité.

 

[2](3) On appelle méta-classement des préférences, le classement des classements des préférences disponible permettant à l’individu de consommer.

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K
<br /> Très bonne initiative..good luck!!<br /> <br /> <br />
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