Quelques éléments d’analyse : Le développement socialement durable, outil pour la réflexion sur la micro finance.

Publié le par merezak maha

Quelques éléments d’analyse : Le développement socialement durable, outil pour la réflexion sur la micro finance.

La micro finance, outil de lutte contre la pauvreté est constitué d’un ensemble de services financiers qui vise à améliorer les revenus et l’emploi au sein des populations exclues du système bancaire classique. En contrepartie de ses extraordinaires potentialités (création et développement de petites activités économiques  rentables par l’accès au financement extérieur et à la mobilisation de l’épargne), différentes études d’impact ont observé ses limites lorsque celle-ci est envisagée dans ses seules dimensions de technique de financement. Selon Servet, 2004, « faute d’un développement intégrant le micro- crédit dans les logiques de solidarité, les risques sont considérables que de moyens de libération, il devienne un vecteur d’agression par un surendettement des populations séduites par une proposition de crédit ».
 Les études d’impact et analyses de situation de crise des institutions de micro finance mettent en évidence un certain nombre de  risques :

1-Risque de surendettement des populations cibles

2-Risque d’accélération des processus de stratification sociale par concentration des services sur une frange a priori rentable de la population.

3-L’illusion d’un développement rapide et généralisé d’une micro finance qui ne respecte pas « les bonnes pratiques ».

Dans ce contexte, il apparait important d’insister sur la nécessité d’inscrire la micro finance dans une perspective d’économie sociale et solidaire et  de s’interroger sur son implication au développement durable. La micro finance étant inscrite dans les possibilités de développement local et soutenable dans son ensemble permet indéniablement d’améliorer le capital social et humain en assurant aux communautés locales de nouvelles opportunités de développement.

Dans les années 90, la micro finance est devenue un outil emblématique des politiques de lutte contre la pauvreté et constitue aujourd’hui un creuset très fertile pour toutes les interrogations liées à cette approche du développement.  Les stratégies de lutte contre la pauvreté impulsées par la Banque Mondiale ont d’abord mis l’accent sur l’équilibre monétaire et la croissance comme facteurs de recul de la pauvreté, en négligeant dans un premier temps les conséquences des politiques engagées sur la vulnérabilité des populations et les inégalités économiques et sociales . Sous l’égide du PNUD, une approche alternative se développe depuis plus d’une décennie à travers le concept de « développement humain », fondé sur l’approche par les capacités d’A. Sen.
 « Le développement humain et les politiques associées visent à accroître la capacité des individus à « mieux fonctionner », c’est à dire à vivre mieux et à s’épanouir (Sen, 1987, 1999). Dans cette optique : « Les individus sont la véritable richesse d’une nation. Le développement doit donc être un processus qui conduit à l’élargissement des possibilités offertes à chacun. Il a pour objectif fondamental de créer un environnement qui offre aux populations la possibilité de vivre longtemps, en bonne santé, d’acquérir les connaissances qui les aideront dans leur choix et d’avoir accès aux ressources leur assurant un niveau de vie décent » (PNUD, 1990) »

L’approche par les capacités d’A. Sen considère que « chaque personne possède des capacités qu’elle peut mettre en œuvre pour vivre en état de bien être. Les capacités prennent de multiples formes (économiques, humaines, sociales, financières, etc.), le revenu monétaire n’en est qu’une composante. Chaque personne combine ses capacités, en jouant sur leurs propriétés et leurs limites, de façon à assumer ses responsabilités, tout en restant raisonnable vis à vis de sa communauté. Cette combinaison définit sa structure de capacités ». (Mahieu, 2003). Cette structure de capacités est fragile ; elle peut évoluer, positivement ou négativement, sous l’impact de facteurs exogènes : catastrophes naturelles, accident de la vie, mais aussi politiques publiques, ou actions de développement. Cette approche par les capacités se décline au niveau des personnes, de collectifs, de sociétés.

L’intégration des approches en termes de capacités avec une préoccupation de durabilité conduit à formaliser les concepts de développement durable et de « développement socialement durable » (Dubois, Mahieu, Poussard, 2001). Le développement durable « répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations à venir à assurer les leurs » ; il est fondamentalement multidimensionnel : environnemental (préservation des ressources naturelles), économique (par une croissance respectueuse des équilibres économiques et n’engendrant pas de dettes pour les générations futures), social (préservant la cohésion sociale et renforçant les capacités des populations), politique (fondé sur la participation et la responsabilisation citoyenne), culturel (reconnaissance des identités).

Le développement socialement durable est « un développement qui garantit aux générations présentes et futures l’amélioration des capacités de bien être (sociale, écologiques ou économiques) pour tous, à travers la recherche de l’équité d’une part, dans la distribution intergénérationnelle de ces capacités et d’autre part, dans leur transmission intergénérationnelle » (Ballet, Dubois, Mahieu, 2003). Les principes de la durabilité sociale peuvent être élaborés en considérant les relations entre les différentes formes de la pauvreté, entre la croissance/pauvreté/inégalités, entre la vulnérabilité des populations et le renforcement de leurs potentialités, entre les inégalités et le niveau de cohésion sociale.

De ce fait, les questions soulevées par cette approche apparaissent particulièrement pertinentes dans le champ de la micro finance et offrent un cadre théorique fertile pour penser la problématique de l’impact de la micro finance sur les capabilities de l’individu au sens de Sen.

…….un cadre théorique pour analyser   l’impact de la micro finance sur les capabilities.

La réflexion ouverte par le concept de développement socialement durable offre un cadre d’analyse heuristique pour traiter la question de l’équité et de l’impact de la micro finance sur le développement humain. Il permet d’aborder cette question de l’impact dans ses multiples dimensions, en s’interrogeant sur les effets de la micro finance sur les capabilities  économiques, financières, sociales, organisationnelles de l’individu.

L’impact de la micro finance sur les capacités touche 3 champs :

1- l’accessibilité au service financier par les différentes catégories de population

2- le renforcement des capacités économiques, financières, sociales, humaines  par le service financier : la question demeure de savoir si ce service engendre un processus d’accumulation ou maintient t’il l’emprunteur dans une situation de statu quo par rapport à sa situation sans crédit ou crée t’il une dépendance chronique vis-à-vis de l’endettement.

3-Les caractéristiques de ce type de service financier  sont elles équitablement partagées par les différentes catégories de population ?

4-L’innovation financière permanente  ne risque t-elle pas d’engendrer des inégalités nouvelles, de renforcer les processus de différenciation économique et sociale, d’accroître la vulnérabilité ?

Comment la micro finance peut elle contribuer à améliorer le développement humain à un niveau intergénérationnel ? Quel est réellement l’impact de la micro finance sur l’amélioration du bien être économique ? Son impact effectif sur les inégalités des « capabilities » sachant l’hétérogénéité humaine, psychologique, d’éducation, de richesse et de capital social.

Il apparait ainsi que si ce cadre d’analyse  ouvre bien des perspectives théoriques intéressantes par rapport à la problématique de l’impact des innovations financières, et plus largement des services et des actions de développement, il présente aussi de sérieuses difficultés méthodologiques  qui peuvent etre répertoriées comme suit.

1- Le concept de « capacité » est en cours de construction ; l’analyse ne peut donc pas s’appuyer sur des catégories éprouvées ;

2- Le concept n’étant pas stabilisé, les indicateurs susceptibles d’en rendre compte, de mesurer les capacités et leur dynamique sont eux aussi en cours d’élaboration ; chaque analyse aura donc à effectuer la conceptualisation de ses propres indicateurs ;

3- Les capacités ont des dimensions quantitatives, mais aussi qualitatives, d’autant plus difficiles à appréhender

4- Les dispositifs d’observation d’impact sont forcément complexes dans la mesure où ils doivent permettre l’articulation entre différents niveaux (micro/meso/macro), différentes dimensions (économique, social, anthropologique, politique,…) et prendre en compte les évolutions temporelles (analyse diachronique)

5- L’analyse de l’impact des services financiers rencontre par ailleurs les problèmes classiques de l’attribution (dans quelle mesure une évolution au niveau d’une unité économique est elle attribuable à un facteur donné dans un contexte où interfèrent différents facteurs ? Par exemple, l’amélioration de revenu observée est-elle le fait de l’accès au crédit ou de l’ouverture d’une nouvelle route, ou de l’acquisition de compétences nouvelles par le producteur ? ).

Dans le cas des services financiers, l’analyse d’impact se heurte au problème spécifique de la fongibilité de l’argent et du crédit.


Bibliographie


-Ballet J., Dubois J.L., Mahieu F.R., 2003. Le développement socialement durable : un moyen d’intégrer capacités et durabilité. Communication à la « 3ème Conférence on the Capabilities Approach ». University of Pavia, 6-9 septembre 2003.

-Dubois J.L., Mahieu F.R., 2003. Personnalisme, capacités et durabilité. Fondements éthiques pour un développement socialement durable d’Emmanuel Mounier à Emmanuel Levinas. Communication à la « 3ème Conférence on the Capabilities Approach ». University of Pavia, 6-9 septembre 2003.

-PNUD, 1990. Rapport sur le développement dans le monde.

Sen A., 1987. Commodities and Capabilities. Oxford India Paperbacks, Oxford University Press, Oxford.

-Sen A., 1999. Ethique et économie, et autres essais. Collection Philosophie morale. PUF, Paris.

-Sen A., 2000. Un nouveau modèle économique : développement, justice, et liberté. Odile Jacob, Paris. 

-Servet J.M., 2003. Introduction générale au 5ème rapport du Centre Walras : Microfinance : les leçons du Sud. In « Exclusion et liens financiers ». Rapport du Centre Walras 2003. Sous la direction de I.Guerrin, J.M.Servet. Economica. Pp.3-20.

- Merezak M.,"L'économie sociale, nouveau mode de régulation pour un modéle de développement durable", thése de doctorat national, décembre 2008. 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article
M
<br /> bonjour;je te felecite pour cet article riche en information sur tout en ce qui concerne les defis et perspective de l'economie sociale au maroc.<br /> je suis un etudiant en master specialisé dans le devellpement humain(eco sociale microfianance ....etc) et jaimerai bien collaborer avec vous<br /> <br /> <br />
Répondre